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Chez Mrs FIGG : chats, scones et livres à volonté !
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24 août 2011

« Philip, comment osez-vous m'ébranler ainsi ? Vous êtes un tentateur »

couvertureLe Moulin sur la Floss de George Eliot

Traduction et préface de Alain Jumeau

Gallimard (Folio classique) 2003 / 1ère édition : 1860

738 pages / 10,50 euros

 

GEORGE ELIOT, malgré son pseudonyme peu sibyllin, était une femme. De son vrai nom Mary Anne Evans (1819 – 1880), elle est considérée par certains comme la plus grande romancière victorienne (à se demander comment j'ai pu passer à côté si longtemps !!). C'est finalement grâce à 2 commentaires chez Nataka et Cunéipage que je me suis décidée à lire Le Moulin sur la Floss. … Et j'ai adoré ce roman dont on dit qu'il est [presque] autobiographique.

L'histoire en quelques mots : (100% sans spoilers)

Le récit commence en 1829. Il se déroule à SAINT OGG, ville commerciale de province traversée par la FLOSS, rivière fertile et nourricière mais capricieuse. Inutile de sortir une carte d'Angleterre pour cherche SAINT OGG ou la FLOSS : se sont des inventions de l'auteur ! (contrairement au reste du roman qui se caractérise par son réalisme.) Sur la FLOSS, se dresse fièrement le beau moulin de DORLCOTE, foyer de la famille TULLIVER depuis 5 générations. C'est l'histoire de cette famille de meuniers aisés dont G. ELIOT nous conte les aventures, s'attachant à suivre l'évolution des enfants jusqu'à l'âge adulte. TOM (l'ainé) et MAGGIE sont très différents : MAGGIE est une enfant rebelle, impulsive, en quête de reconnaissance intellectuelle. TOM est plus lent, renfermé mais il a un sens inné de l'honneur et de la justice jusqu'à devenir parfois cruel et intransigeant envers MAGGIE. Pourtant, MAGGIE n'est qu'amour pour ce frère idolâtré …

Les 2 premières parties (livres I et II), qui racontent l'enfance de TOM et MAGGIE donne rapidement l'impression d'un paradis perdu. En effet, cet 'âge d'or' prend fin avec la faillite financière des TULLIVER et la perte des illusions sur les qualités paternelles … (livre III). C'est donc la souffrance et l'humiliation qui les accompagnent dans ce passage au monde adulte où ils vont devoir surmonter beaucoup d'épreuves pour rétablir l'honneur de la famille et se faire une place dans la société. D'autant plus qu'au grand dam de MAGGIE, l'amour s'en mêle (Livres IV, V et VI). Enfin, le dernier livre (VII) amène un dénouement sensationnel (au sens propre comme figuré) inattendu mais pourtant annoncé (mystère mystère !)

Un conseil : si vous vous apprêtez à lire Le Moulin sur la Floss dans l'édition de poche Folio, surtout abstenez-vous de lire la 4ème de couverture qui dévoile toute l'intrigue ! (et aussi la suite de cette note !)

Mill-On-the-floss-3

Mon avis :

Un Moulin sur la Floss est une chronique historique et sociale.

On y assiste au face-à-face entre l'ancien monde (celui des travailleurs, des propriétaires terriens, des paysans enrichis …) représenté par Mr TULLIVER qui apparaît peu instruit, méfiant envers les banques, conservateur et le nouveau monde (celui des innovations, des affaires, du commerce, de l'argent et du profit) représenté par le notaire Mr WAKEM ou l'oncle DEANE, l'armateur. L'Angleterre de Un Moulin sur la Floss se situe en pleine révolution industrielle.

La plume sensible de G. ELIOT nous amène a plaindre Mr TULLIVER qui perd littéralement son 'combat' et sa liberté puisque de propriétaire du moulin, il en devient salarié et transmet une dette (comme une tâche nouvelle et indélébile qui marque son nom) à ses héritiers, TOM et MAGGIE. Pourtant, cette aliénation du père (bien que déchirante dans ses conséquences, je pense par exemple au touchant désespoir de Mme TULLIVER qui voit ses précieux draps de famille brodés vendus aux enchères par un huissier), n'est pas celle du fils. En effet, TOM réussi là où son père avait échoué en se construisant une éthique personnelle (mais en partie présente à l'état de germe chez Mr TULLIVER) fondée sur le travail comme ascenseur social, l'économie, la sobriété … qui marquent le XIXème siècle victorien.

Un Moulin sur la Floss permet également de mesurer le fossé entre être un homme et être une femme à l'époque victorienne, notamment par le récit des 2 éducations bien différentes. Si TOM reçoit une éducation couteuse (bien qu'inadaptée) autour de la géométrie et les dangues classiques, celle de MAGGIE est centrée autour de tâches intimistes et (perçues comme) féminines : couture, musique, dessin … qui fera son désespoir : devenue jeune femme, elle est dans l'incapacité de pourvoir à ses propres besoins ou d'aider sa famille. La seule carrière qui s'offre à elle (et qui apparaît pour la bonne société de SAINT OGG comme un déclassement) est celle de gouvernante.

D'ailleurs, dans le discours des parents, l'espoir porté dans l'avenir de TOM est très net tandis que le regret de Mme TULLIVER est d'avoir une fillette peu gracieuse et brune ce qui, d'après elle, amoindri ses chances de faire un (bon) mariage. A son fils qui souhaite épouser MAGGIE et qui vante ses qualités, un père répond d'ailleurs : « On ne demande pas ce que fait une femme … on demande à quelle famille elle appartient. » (p. 568)

Malgré tout, j'ai trouvé que les enfants avaient une grande liberté et attention de la part des adultes : tant TOM que MAGGIE ou LUCY (leur cousine) sont choyés, les adultes aiment leur faire plaisir, le père de MAGGIE est manifestement au petits soins pour sa fille à laquelle il passe toutes les bêtises, il place de grands espoirs sur les épaules de son fils … J'ai trouvé cette immersion dans cette sphère familiale très touchante et très rare dans les romans de la même époque (d'autant plus qu'ils se situent souvent dans une société plus aisée et donc plus policée qu'ici). J'ai aimé assister aux bêtises de MAGGIE qui m'a évoqué la petite SOPHIE de la Comtesse de SEGUR : il y a l'épisode où MAGGIE se coupe les cheveux, l'épisode où elle part vivre chez les bohémiens …

C'est avec beaucoup de modernité que G. ELIOT peint l'enfance et les années d'apprentissage de MAGGIE et TOM : on assiste aux disputes, aux 'crises d'adolescence' … et finalement, ces enfances ne semblent pas si éloignées des nôtres ! Pour exemple, cette crise de larmes de MAGGIE : « Ce furent des larmes bien amères. Tout le monde, sur cette terre, lui semblait si dur et si cruel envers elle. Il n'y avait ni indulgence ni affection, comme ce qu'elle imaginait, quand elle refaisait le monde, dans son imagination. » (p. 321)

As Tom Tulliver with Maggie TulliverEn outre, j'ai beaucoup aimé assister à la vie quotidienne et simple de cette famille. Les préparatifs en vue d'un repas de famille sont notamment savoureux (les mets servis, les vêtements qu'on sort des placards …) et la tenue de cet intérieur (semi) bourgeois est édifiante. La partie où TOM et MAGGIE sont adultes est moins originale et rappelle les romans de JANE AUSTEN : on y retrouve (avec bonheur) une communauté de jeunes gens oisifs dont les activités principales sont le flirt, les piques-niques et les ventes de charité.

Mais Un Moulin sur la Floss, c'est surtout une galerie de personnages passionnants à la psychologie très élaborée.

Mon avis sur le personnage de MAGGIE est assez ambivalent : on s'attache facilement à cette fillette curieuse, entière, sensible qui se trouve complètement démunie lorsque le malheur survient. En effet, elle se sent impuissante : elle ne peut aider financièrement, elle souffre intellectuellement de l'échec de ce père adoré … Or, la seule solution qu'elle trouve pour supporter sa condition de femme de l'époque victorienne est un idéal de renoncement à soi et à son plaisir personnel. Ainsi MAGGIE jeune-fille réprime-t-elle ses élans, ses envies … et n'aura de cesse de se punir, de s'infliger des privations dès qu'elle pensera avoir causé une souffrance à quelqu'un. Et mathématiquement, à chaque fois qu'elle éprouve un plaisir, elle considère léser une personne : TOM quand elle rencontre PHILIP en cachette dans le Val Roux, PHILIP et LUCY quand elle tombe amoureuse de STEPHEN …

Je dois avouer que ce surprenant plongeon de l'héroïne dans la religiosité m'a agacée (et est inévitablement difficile à concevoir pour un lecteur du XXIème siècle). MAGGIE ne vit jamais pleinement ses sentiments, elle est toujours tiraillée entre morale et plaisir : « A la préciosité habituelle de la jeune fille, [Maggie] ajoutait cette expérience prématurée de la lutte, du conflit entre l'impulsion intérieur et la réalité extérieure, qui est le lot de toute nature imaginative et passionnée » (p. 372)

Le personnage de PHILIP WAKEM en revanche ne souffre d'aucun bémol : il est splendide du début jusqu'à la fin. Brimé depuis l'enfance parce que bossu et orphelin de mère (mais tendrement aimé par son père), il tombe sous le charme de MAGGIE petite fille et n'aura de cesse de s'en faire aimer malgré la querelle familiale qui les sépare. PHILIP est l'antithèse de TOM : artiste, avec une sensibilité presque féminine (c'est G. ELIOT qui le dit), écorché vif, compréhensif … il est également fortuné et savant. Et surtout quel amoureux !!! A ce titre, le chapitre 3 'Les oscillations de la balance' du Livre V est un sommet d'émotion où il dévoile toute sa personnalité, la profondeur de sa passion (et où mon cœur a palpité très fort !) : « - MAGGIE, lui dit-il […] ne persistez pas dans ces privations volontaires déraisonnables. Cela me rend malheureux de vous voir brimer et entraver de la sorte votre personnalité. Vous étiez si pleine de vie, quand vous étiez enfant; je me disais que vous deviendriez une femme brillante … pleine d'esprit et d'imagination vive. Cela éclate encore sur votre visage, tant que vous ne l'avez pas recouvert de ce voile de triste quiétude. » Ce à quoi cette sotte MAGGIE répond : « - Comme vous auriez été un bon frère, comme je vous aurais aimé PHILIP ! » (pp. 441 – 442)

Enfin, j'ai apprécié que les personnages (même les personnages secondaires) ne soient pas manichéens. Par exemple, Mme TULLIVER semble assez frivole et influençable au début du roman, pourtant elle prend la défense de MAGGIE lorsque tout le monde lui tourne le dos. Les oncles et tantes sont également toujours 'entre 2 eaux' : ils apparaissent égoïstes (lors de la vente des biens des TULLIVER qu'ils refusent d'acheter) mais ils sont également fidèles aux membres de la famille (voire Mme GLEGG qui offre un toit à MAGGIE après sa fugue). Et surtout, ils sont croqués avec beaucoup d'humour par G. ELIOT.

POUR CONCLURE : oui, Le Moulin sur la Floss est parcouru de religiosité et de considérations morales, oui le personnage de MAGGIE fait parfois figure de girouette (ses hésitations envers STEPHEN et PHILIP) … mais c'est également un magnifique roman d'apprentissage, d'amour et une tragédie splendide.

NB : les illustrations sont issues de l'adaptation en série réalisée par la BBC en 1997.

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Commentaires
M
Comme je le dis dans ma note, il faut savoir faire abstraction de certains détails pour apprécier l'ensemble de ce texte ! En tout cas, bonne lecture.
L
Je n'ai pas encore lu Eliot mais elle figure en bonne place dans ma PAL. Je repousse souvent la lecture car j'ai eu pas mal d'échos un peu négatifs sur cet auteur et, ne manquant pas de textes victoriens chez moi, j'ai préféré donner la priorité à d'autres auteurs. Mais voilà un auteur que je proposerais volontiers lors de la prochaine réunion d'un club de lecture que nous avons mis en place entre "copines victoriennes":)
M
Yeees lol ! Je pense que je dévoile assez peu de choses vraiment précises, de toute manière, dans ce billet. J'espère que tu vas apprécier ta lecture ...
N
J'ai passé outre le conseil et j'ai lu tout ton billet, bien que je n'aie pas encore lu le roman, et bien sûr j'ai très très envie de le lire maintenant. George Eliot rocks !
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