« Ma sœur l'appelait l'année des secrets »
Élégie pour un américain de Siri Hustvedt
Traduit de l'américain : The Sorrows of an American
Actes Sud (Babel) / 2010 / 401 pages / 9,70 euros
Élégie pour un américain est un poème, un chant (pas un sens littéral évidemment !) d'Erik Davidsen pour son père, décédé : hommage à un homme qu'il a profondément aimé, chagrin, solitude, aller de l'avant, aider les femmes qui comptent sur lui … Ce personnage inventé par Siri Hustvedt est d'une sensibilité émouvante. Normal ! Il est psychanalyste … (et surtout, c'est la plume de Siri Hustvedt formidable pour écrire les hypersensibles, les personnages au bord de la folie, la vie quotidienne décortiquée …). Malheureusement, je suis restée un peu extérieure à son récit.
Siri Hustvedt (épouse du romancier Paul Auster) plante un décor familier : le cercle réduit d'une élite intellectuelle new-yorkaise, cultivée, sinon riche dénuée de problèmes d'argent, composée de psychiatres, d'artistes, de philosophes … encore traumatisés par les évènements du 11 septembre et la guerre en Irak. Ces vivants comptent peut-être moins que les morts que Siri Hustvedt fait revivre grâce au journal intime de Lars Davidsen, inspiré des Mémoires de son propre père. Immigré norvégien, Lars évoque l'intégration américaine de ses parents, l'échec de leur rêve d'une vie meilleure après la Grande Dépression, la guerre, la transmission d'une vie 'comme au pays' … On sent que Siri Hustvedt met beaucoup d'elle-même dans ce roman. (et d'ailleurs, comment ne pas soupçonner que Inga = Siri, le fabuleux, l'inégalable Max Blaustein, époux plus âgé que Inga/Siri = Paul et leur fille Sonia = Sophie Auster à laquelle le roman est dédié ?)
L'écriture est brillante, (comme toujours) truffée d'exposés captivants sur des curiosités diverses (les poupées miniatures, l'expo photo de Jeff Lane …). J'aime par dessus tout quand Siri Hustvedt parle d'art, elle le fait tellement bien ! (mon roman préféré reste Tout ce que j'aimais). La narration est composée d'une multitude de petites énigmes (les lettres de Max, les photos déposées devant la porte d'Erik, la lettre retrouvée dans les affaires personnelles du père, le comportement de Sonia et celui de Inga …) qui entretiennent le suspens jusqu'à la fin, mise en scène comme une pièce de théâtre (trop étonnante pour être complètement réussie !).
Pourtant, je suis restée sur la réserve. A part lorsqu'Erik évoque sa solitude (sexuelle mais pas uniquement !) et lorsqu'il s'agit de sa voisine et de sa petite fille, Eggy, je ne me suis pas attachée ni vraiment intéressée aux personnages … Et tout cela manque d'originalité. Bref ! Ce fut pour moi une lecture agréable mais un roman de Siri Hustvedt quand même inférieur aux autres. (enfin, et tout à fait autre chose, j'ai appris un détail amusant dans ce roman. « Gotham » est l'un des surnoms de New York, attribué à l'écrivain Washington Irving. Je n'avais jamais fait le rapport entre Gotham City de Batman et New York …)
C'est ma troisième contribution au MOIS AMERICAIN organisé chez PLAISIRS A CULTIVER.
Extrait : « En devenant l'historien de son propre passé d'immigrant, [mon père] avait trouvé un moyen de revenir sans cesse chez lui. A l'instar d'innombrables neurologues, psychiatres et analyste que je connais, qui souffrent précisément des maux qu'ils espèrent guérir chez les autres, mon père avait apaisé grâce au métier qu'il s'était choisi la plaie à vif qu'il portait en lui. Il avait archivé des quantités de journaux intimes, de lettres, d'articles de journaux, de carnets de notes et de photographies d'un monde mourant. » (pages 235 - 236)