« C'est la malédiction des Tsongor, de père en fils, rien que de la poussière et du mépris »
La Mort du roi Tsongor de Laurent Gaudé
Actes Sud (collection Babel) / 2005
204 pages / 6,50 euros
Élevé au rang de 'quasi classique, chef d'œuvre de la littérature contemporaine française' par certains de mes collègues de Lettres, j'ai été étonnée par ma lecture de La Mort du roi Tsongor. Mais pas entièrement conquise.
L'Histoire : Aujourd'hui le vieux Katabolonga,'porteur du tabouret d'or', 'ombre du remords' du roi Tsongor doit accomplir sa destinée : assassiner son ami, redoutable guerrier qui mena conquêtes et destructions avant de devenir un souverain respecté de tous. Le jour est d'importance : Tsongor marie sa fille unique, Samilia, au roi Kouame des terres de sel. Pour la première fois, une conquête sera pacifique. Mais un autre prétendant se manifeste : Sango Kerim, frère de lait de Samilia. N'entrevoyant d'autre issue que la guerre, Tsongor accueille la mort avec gratitude. Son présage se révèle juste : après le deuil de leur père, le clan Tsongor se déchire, les prétendants se disputent la belle Samilia et la destruction de Massaba commence …
Étrange livre que La Mort du roi Tsongor qui navigue entre tragédie antique et conte africain traditionnel ! En effet Samilia, femme de 2 hommes, fait songer à Hélène de Troie. C'est aussi une Iphigénie, sacrifiée par son père et ses frères. Les références à la mythologie grecque et aux textes classiques (je pense à Racine notamment) sont légions. Massaba, cité imaginaire, évoque irrésistiblement les grands empires africains du Moyen âge. Pourtant le style est unique. J'ai été sensible à la déchéance (morale et matérielle) des enfants du clan Tsongor, aux souffrances causées par la guerre qui est la leur. Laurent Gaudé sait, avec des phrases liminaires et dépouillées, créer de l'émotion. La temporalité joue aussi une place importante dans La Mort du roi Tsongor dont le récit est rythmé comme une pièce de théâtre, par des actes. Les premiers 'actes' sont courts (une journée) puis le temps s'allonge lentement pour prendre des airs d'éternité. En fait, je pense que se sont justement ces références, ces symboles ... que je préssentais à de (trop) nombreux endroits qui ont empêché ma lecture d'être sereine et de me faire pleinement apprécier le roman.
La Mort du roi Tsongor est un roman de conquête, de sang & de vengeance où l'honneur compte plus que l'amour, de luttes pour le pouvoir, de folie … Certains passages sont d'une violence folle à l'exemple du massacre perpétré par « les chiennes de guerre » d'Arkalas. « C'étaient des hommes forts et robustes mais qui, pour le combat, se paraient comme des femmes. Ils se dessinaient les yeux. Mettaient du rouge sur leurs lèvres. Portaient des boucles d'oreilles, bracelets et colliers de toutes sortes. C'était pour eux une façon plus aiguë d'offenser l'ennemi. Lorsqu'ils tuaient un adversaire, ils lui murmuraient à l'oreille : 'Regarde, lâche, c'est une femme qui te tue'. On entendait jusqu'aux murailles de Massaba les rires nerveux de ces travestis qui portaient le glaive et se léchaient les lèvres du sang qu'ils feraient bientôt couler » (pages 78 – 79). Pourtant, c'est une histoire (presque une fable morale) qui évoque la stupidité de la guerre où des frères s'affrontent, où un père découvre n'avoir rien transmis à ses enfants – excepté la honte et la destruction …
La Mort du roi Tsongor est le Prix Goncourt des Lycéens de 2002.