Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Chez Mrs FIGG : chats, scones et livres à volonté !
Chez Mrs FIGG : chats, scones et livres à volonté !
Derniers commentaires
Archives
9 juillet 2012

« Tu vois, il y a plusieurs façons de résister ... »

 swing a berlinSwing à Berlin de Christophe Lambert

Bayard Jeunesse (collection Millézime) / juin 2012

274 pages / 12,50 euros

Swing à Berlin est un roman jeunesse qui pose les bonnes questions sur l'engagement de l'artiste dans un pays en guerre et qui permet d'aborder le quotidien des allemands sous le IIIème Reich à travers la formation d'un groupe de jazz. Une jolie réussite malgré quelques réserves (complètement personnelles) sur le manque de charge émotionnelle de l'histoire.

Allemagne, 1942. La population civile souffre (bombardements, privations …) tandis que les soldats meurent au front. Le doute (et l'abattement) s'infiltrent dans les consciences, les fonctionnaires du régime nazi provoquent de plus en plus fréquemment l'hostilité. Goebbels, chef de la propagande nazie, impulse la création d'un groupe de jazz allemand, formé de jeunes gens 100% aryens. « Ouvriers et soldats n'ont pas le temps d'écouter une musique longue et difficile, et même s'ils l'avaient, il leur manquerait la tranquillité d'esprit nécessaire pour l'apprécier pleinement […] ils veulent écouter une musique distrayante, séduisante ». De manière bien hypocrite, on rebaptise les musiques dites 'dégénérées', 'nègres' et donc interdites (jazz, blues …) sous la commode périphrase « musique allemande de danse fortement rythmée ». Cette tentative du IIIème Reich de récupérer la musique 'dégénérée' et de la détourner au profit de la propagande allemande est réelle, Christophe Lambert explique s'être inspiré de groupes ayant vraiment existé.

Goebbels confie cette tache à un pianiste à la retraite, Herr Dussander. Bien qu'hostile à cette idée, Dussander doit accepter. Chaperonné par un fonctionnaire nazi particulièrement zélé, Müller, il parcourt l'Allemagne à la recherche de jeunes talents. Quatre garçons sont recrutés (parmi des centaines de recalés, « aussi léger[s] que de la choucroute ! » !) : Max, saxophoniste, le plus âgé du groupe, faux désinvolte, Ruppert, pianiste timide, homosexuel et poète nocturne, Thomas, bassiste, enfant des rues de Berlin, et enfin Hermann, joueur de contrebasse, pur produit des jeunesses hitlériennes. Malgré leurs différences et grâce aux conseils de Herr Dussander, le quatuor est formé, Die Goldenen Vier (leur nom de scène) entame une série de concerts à travers l'Allemagne … Ces pérégrinations ne tardent pas à (r)éveiller leurs consciences : est-ce collaborer que de jouer pour les cadres du parti nazi ? Ont-ils le choix ? Est-ce possible de résister ? Comment ?

Swing à Berlin est un roman pour faire réfléchir plus qu'un roman pour s'émouvoir. Il manque (selon moi) une centaine de page sur les liens entre les garçons, leurs histoires personnelles … pour que le lecteur puisse s'attacher véritablement à eux. Les (trop) rares éléments sont amenés de manière plutôt superficiels (et pour faire avancer l'histoire, à l'image du cousin handicapé de Thomas). Du coup, on reste émotionnellement à distance. C'est probablement inhérent au genre (une œuvre jeunesse) et aux éditeurs, frileux à publier des romans historiques trop épais. Heureusement, le lecteur (adulte ?) pourra approfondir sa curiosité grâce à l'excellente et très complète bibliographie proposée par Christophe Lambert en fin de volume. Par exemple, je pense que je vais me laisser tenter par Seul dans Berlin de Hans Fallada.

En revanche (et c'est là que réside l'atout majeur de Swing à Berlin), les thèmes abordés sont passionnants (et rares dans la littérature de jeunesse) : l'importance de la musique, les mécanismes de la propagande et de l'embrigadement (avec les successives étapes de la prise de conscience du jeune Hermann), et surtout l'engagement de l'artiste. Ainsi, Christophe Lambert explique-t-il que « plus [il] réfléchissait, plus un thème s'imposait : 'un artiste vivant une période politiquement sombre doit-il s'engager à travers ses œuvres ?' Question initiale à laquelle s'est substituée progressivement la suivante : 'l'engagement artistique seul suffit-il à faire bouger les choses ?' ». L'auteur propose une réponse nuancée, abordant le thème de l'engagement et de la résistance sous différents aspects.

Bref, Swing à Berlin est un roman à avoir dans toutes les bibliothèques et CDI. Il est à proposer aux jeunes dès 11 – 12 ans car la Seconde Guerre mondiale y est traitée de manière plutôt factuelle (avec une approche moins sombre que dans d'autres romans) mais également aux plus grands (le thème de l'engagement de l'artiste 'colle' avec le programme d'Histoire des arts de 3ème). Il permettra de tordre le cou à quelques idées préconçues qu'ont souvent les collégiens : non, tous les allemands n'étaient pas nazis; oui, il y eut également une résistance allemande (Hans et Sophie Scholl sont évoqués dans le roman) … Enfin, la genèse de cette histoire, racontée en détail par Christophe Lambert est étonnante : une exposition de la Villette, en 2004, « Le IIIème Reich et la musique » (et dire que j'ai manqué ça !!).

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 84 376
Publicité