« Car on avait peu de mémoire dans la famille Schwart »
La Fille du fossoyeur de Jocye Carol Oates
Traduit de l'anglais (États-Unis) : The Gravedigger's daughter
Éditions Philippe Rey (2008) / 672 pages / 24 euros
Peut-être parce qu'il s'agit d'un roman inspiré de sa propre histoire familiale (le livre est dédicacé à « ma grand-mère, Blanche Morgenstern, la fille du fossoyeur »), ce roman m'a semblé différent des autres romans de JCO.
La fille du fossoyeur, c'est Rebecca Schwart dont la famille a quitté l'Allemagne pour les États-Unis, en 1936. Brisée par l'exil et le déclassement social (d'intellectuel respecté, Jacob Schwart devient l'employé subalterne d'une petite ville rurale du Chautauqua), cette famille sombre progressivement dans la précarité, l'isolement, la paranoïa (les américains sont nommés 'les autres') et finalement, la folie. Devenue adulte, Rebecca doit faire l'apprentissage des hommes, du mariage, de la maternité … tout en surmontant cette enfance au sein d'une famille dysfonctionnelle.
La fille du fossoyeur est un roman traversé par le syndrome du survivant où le destin tragique du peuple juif pendant la Seconde guerre mondiale revient fréquemment hanter la vie rangée de Rebecca/Hazel. En effet, Rebecca est une (multi)survivante de la folie et de la violence des hommes. JCO fait le portrait d'une femme à la fois vulnérable et dure qui passe sa vie à dissimuler sa véritable identité et ses sentiments. D'une manière vraiment édifiante, JCO démontre le poids de l'Histoire collective dans les destinées familiales ou individuelles.
La fille du fossoyeur évoque également une partie méconnue (et sombre) de l'histoire américaine à travers l'émigration (et l'intégration) tumultueuse d'une famille juive allemande dans les années 30/40. Les Schwart vivent dans l'amertume d'avoir été chassés d'Allemagne mais l’antisémitisme qu'ils rencontrent aux États-Unis achève de détruire leur famille. Existe-il réellement des bateaux de réfugiés arrivés à New York dans les années 40-41 qui ont été renvoyés par les services d'immigration américains comme c'est le cas pour les cousins des Schwart ? Je ne m'y connais pas suffisamment sur la période mais je serai curieuse d'avoir la réponse.
Concernant le style, c'est un récit de facture très classique, principalement chronologique et narré du point de vue du même personnage féminin. On n'y retrouve pas la même tension, la même urgence qui sous-tendent la quasi totalité des romans de l'auteur. Du coup, j'ai eu l'impression de quelques longueurs, d'une histoire parfois un peu trop diluée. Pour autant, JCO est une formidable conteuse et dresse un portrait nuancé, ambigu de son héroïne à l'attitude parfois contestable mais émouvante.
Pour conclure, La fille du fossoyeur est un roman très dense et sombre sur la famille et sur l'importance de la mémoire familiale comme base d'une identité personnelle. Un excellent roman de JCO malgré quelques longueurs sur le début dans lequel elle se montre particulièrement critique envers la société américaine des années 30 à 60 : " La vérité la plus profonde de l'âme américaine est qu'elle a la superficialité d'une bande dessinée ".
Et hop ! Je continue le MOIS AMERICAIN.