« Une femme mariée appartient à son mari et à ses beaux-parents »
Mariage arrangé de Chitra Banerjee Divakaruni
Nouvelles traduites de l'anglais (Arranged Marriage)
Philippe Picquier poche (2007) / 377 pages / 9 euros
Chitra Banerjee Divakaruni est une romancière contemporaine d'origine indienne, dont j'avais déjà adoré l’envoûtant Ma sœur, mon amour (2004).
Mariage arrangé est un recueil de 11 nouvelles, toutes très réussies, autour de la vie des femmes indiennes, du mariage et de la maternité.
C.B. Divakaruni y dresse les portraits d'indiennes d'aujourd'hui, courageuses, soucieuses de concilier respect des traditions et libertés individuelles, dans une culture encore très patriarcale et socialement cloisonnée.
La femme indienne semble n'évoluer qu'à travers le mariage, qui est une transaction (financière) entre sa famille et celle d'un homme qu'elle ne connaît généralement pas. Une jeune fille qui ne s'y soumettrait pas entacherait l'honneur de sa famille et serait rejetée par celle-ci (Le mot amour où la violence d'une mère est incompréhensible à mes yeux). Dans la nouvelle Les Vêtements, C.B. Divakaruni évoque le destin tragique des jeunes veuves « vêtus de saris blancs [elles] baissent leurs têtes voilées […] colombes aux ailes coupées » (p.50) et restent la propriété (l'esclave) de leurs belle-familles jusqu'à la fin de leurs vies.
Mais C.B. Divakaruni ne tombe pas dans les stéréotypes.
Certains des mariages arrangés sont heureux et certains époux indiens sont progressistes qui acceptent que leurs femmes dépassent les tabous de la culture indienne (travailler, sortir de la maison voire fumer ou boire). « Pendant son temps libre, la femme lisait des livres que son mari choisissait pour elle à la bibliothèque » (p. 153, L'histoire de la servante). Pour autant, l'égalité homme/femme paraît ne pas exister. Quant à la sexualité, elle reste tabou mais il n'est pas rare qu'une indienne américanisée tombe amoureuse d'un américain et entame une liaison.
Pour certains jeunes filles, mariage arrangé rime avec émigration (toujours aux États-Unis) : « d'ailleurs, n'est-ce pas le destin de toute femme, de quitter le connu pour l'inconnu ? » (p.31). Si le voyage en avion cristallise tous les espoirs (l'Amérique comme la terre promise) et toutes les craintes, les appels téléphoniques longue distance vers l'Inde cristallisent les disputes entre époux. D'autant plus que l'Amérique se révèle rapidement source d’amertume : déclassement social, racisme (Trottoirs d'argent, toits d'or). « Ce fichu pays, comme un dain, une sorcière, qui feint de donner et puis vous dépouille » (p.76).
Ces mariages arrangés se concrétisent systématiquement par un désir d'enfant, résultat d'une horloge biologique personnelle (Une vie parfaite, ma nouvelle préférée) ou d'une pression sociale (L'échographie). Les femmes qui privilégient leur carrière à la maternité deviennent suspectes, douteuses.
Pour conclure, dans ces nouvelles, l'auteur dénonce la condition féminine indienne et certaines histoires sont indéniablement sombres. Pour autant, la dureté (voire la violence) de ces histoires est compensée par un merveilleux voyage au cœur de la culture indienne. C.B. Divakaruni nous immerge dans un bain d'épices exotiques, de préparations culinaires alléchantes, de saris et de soieries colorés … Une magnifique lecture !