« Qui donc voudrait lire les écrits de la fille d'un obscur pasteur, installé au fin fond du Yorkshire ? »
Quand j'étais Jane Eyre de Sheila Kohler
Traduit de l'anglais (Becoming Jane Eyre)
Éditions La Table ronde (Quai Voltaire)
Janvier 2012 / 260 pages / 20 euros
Quand j'étais Jane Eyre est une biographie romancée de Charlotte Brontë qui fait ressentir beaucoup d'émotions au lecteur … Une lecture très différente d'une biographie universitaire, forcément plus sérieuse et distanciée.
Le récit de Sheila Kohler est documenté. Elle cite ses sources (principalement littéraires) en fin de volume (dont Elizabeth Gaskell qui fréquenta brièvement Charlotte Brontë avant d'écrire son histoire). L'essentiel de la vie de Charlotte Brontë y est donc, conforme à ce que l'on en connait déjà (point d'originalité ici) : les 6 enfants orphelins de mère, le père pasteur distant, l'inhumain pensionnat de l'enfance maltraitée puis l'âge adulte où les jeunes filles doivent travailler comme gouvernantes, le voyage à Bruxelles où Charlotte rencontre l'amour à sens unique sous la forme d'un homme marié, les refus des éditeurs de publier les œuvres des 3 sœurs, la folie du frère Branwell et la tragique succession de décès (Branwell, Emily et enfin Anne) jusqu'au mariage de Charlotte, heureux, fécond mais tellement court. Une existence simple mais qui a inspiré des œuvres incroyablement puissantes : Jane Eyre, Les Hauts de Hurlevent, Agnès Grey …
Pour Sheila Kohler « l'idée de ce roman [lui] est venue à la lecture d'un passage de la biographie de Charlotte Brontë par Lyndall Gordon : 'Ce qui s'est passé, tandis qu'elle était assise au chevet de son père, à Boundary Street [à Manchester, en 1846], reste dans l'ombre » (page 261). Ainsi, Sheila Kohler imagine les circonstances de la rédaction de Jane Eyre : immobilisée au chevet de son père, loin de ses chères sœurs, abattue par un énième refus d'éditeur (pour Le Professeur, son premier roman), Charlotte commence l'écriture d'une sorte d'autobiographie. En effet Jane Eyre, c'est beaucoup d'elle-même, un peu d'Anne & d'Emily mais aussi des hommes qui l'ont fait souffrir : son père, Branwell et surtout Constantin Héger, professeur de français marié qui semble d'abord partager les sentiments de Charlotte avant de la repousser avec indifférence. L'idée de Sheila Kohler est que Charlotte Brontë écrivait pour se libérer de sa rancœur, ses souffrance et déceptions amoureuses, les injustices dont elle est victime … Une expiation.
En conclusion Quand j'étais Jane Eyre est un roman agréable à lire, assez nostalgique. Sans pathos excessif, Sheila Kohler évoque le destin tragique de jeunes femmes de génie qui mourront toutes prématurément et parmi lesquelles seule Charlotte connaitra le succès de son vivant. Sheila Kohler ne passe pas sous silence les tensions qu'elle imagine se former entre Charlotte, Emily et Anne. En effet Jane Eyre se vent mieux, obtient de meilleures critiques que Les Hauts de Hurlevent d'Emily, jugé immoral, trop violent, trop étrange … Voilà qui me donne envie de découvrir les autres romans de Charlotte Brontë moins connues : Shirley, Villette et Le Professeur.