« Si le mal habite nos ennemis, gardons-nous de nous laisser entraîner à leur suite. »
Maudits de Joyce Carol Oates
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) : The Accursed
POINTS / 2016 / 802 pages / 9,30 euros
Entre 1905 et 1906, une série de drames et d’évènements étranges frappent Princeton, le campus universitaire et la ville. Cette « Malédiction » nous est racontée par M.W. van Dyck II. Grâce à des archives et à des journaux intimes, cet historien retrace une histoire violente et extravagante, où se côtoient membres privilégiés de la bonne société, socialistes activistes et créatures inquiétantes. Pourquoi ce microcosme princetonien se met-il subitement à souffrir d'hallucinations et de pulsions meurtrières ?
70 ans après, M.W. van Dyck II tente de résoudre l’énigme : le Diable ou un vampire était-il responsable de cette folie ? Cette « malédiction » est-elle le témoignage du délitement d’une société profondément raciste, outrancièrement puritaine et misogyne, fondée sur l’exploitation des ouvriers et d’abattoirs inhumains ?
A travers cette dénonciation osée des origines du capitalisme américain, étudié à l’échelle de Princeton, Joyce Carol Oates a construit une histoire incroyablement dense, érudite et jouissive. Comme dans chacun de ses romans, elle évoque aussi les inégalités sociales et raciales qui pèsent sur l’Amérique du début du XXème siècle, exacerbées par les tabous religieux.
J’ai adoré être bousculée dans cette lecture à la narration particulièrement étrange et dérangeante. Et la fin est réellement magistrale.
En effet, Maudits est un roman dans lequel il faut accepter de « lâcher prise » et d’oublier la frontière entre fiction et réalité historique. Dans cette histoire de Princeton (qu’elle connaît si bien), Joyce Carol Oates perd volontairement ses lecteurs grâce à un abyssal jeux de faux semblants où elle mélange anecdotes authentiques, gloires locales, personnages littéraires (Jack London, Upton Sinclair) et personnages historiques (Woodrow Wilson, exalté et hypocondriaque) à une ‘petite’ histoire, inventée par elle.
« Maudits étant, pour l’essentiel, une chronique des petits-enfants Slade, il semble pertinent pour l’historien de noter que Winslow Slade aimait ces enfants d’un amour farouche » (p.54)
Dans la lignée de sa « saga gothique » dont il est le 5ème opus, Maudits retrace l’histoire d’une famille hors-norme, teintée de réalisme merveilleux. Je n'oublierai pas de sitôt la naïve Annabel et son frère, le preux Josiah, ni leur petit cousin et sa partie d’échec au royaume des marécage. Ni le sulfureux journal d’Adélaide, l’invalide scandaleuse. Ni la pureté et le courage de Wilhelmina Burr pour gagner sa liberté de femme.
Maudits est un roman magistral, fascinant, perturbant. Pourquoi Joyce Carol Oates n’obtient-elle pas le Nobel ??
J’ai également lu Bellefleur ou La Légende de Bloodsmoor